[2022] programme en préparation pour ce département : Val-d'Oise (95)
La Seine - Christian Broutin
Presqu’un demi-siècle que je contemple la Seine dérouler son méandre devant mon atelier. Elle est devenue mon paysage intérieur.
Je suis ses humeurs, à moins qu’elle ne suive les miennes ! Elle m’habite, me constitue. C’est un rêve que rien n’achève.
C’est la saison des brumes. Dès l’aube, elle me fait le coup du premier matin du monde. Le jour se lève, elle est absente, invisible, perdue. Une mer de nuages parfaitement plate s’étend jusqu’à l’horizon. Jusqu’à l’horizon, plus de paysage. Le vide, l’effacement, la disparition. Avoir la patience d’attendre. Attendre que la surface lisse de cette mer se désunisse, devienne vaporeuse. Des îlots sombres apparaissent lentement, comme une photo dans le révélateur. Apparaissent, puis disparaissent. Des sommets d’arbres, fantomatiques, se
profilent ça et là. Le soleil à l’horizon illumine et dore de longues écharpes de brume qui serpentent dans la forêt, de grandes ombres s’allongent infiniment. Imperceptiblement un monde naît sous nos yeux. Les arbres se dessinent, un scintillement palpite au coeur de la
nuée. Alors, comme une star de film muet, paresseusement la Seine se réveille, se révèle, écartant son voile de brume. Le soleil monte dans le ciel. Des petites fumeroles courent à la surface de l’eau qui semble prête à bouillir. Les arbres retrouvent leurs reflets. Les péniches
vont et viennent, les cygnes volent au ras de l’eau. Les bernaches cancanent sur les berges. Parfois le brouillard s’obstine. Journée douce et mélancolique. Silence et mystère. Je pense à Basho, poète japonais : " Belle cette journée de brume où le Fuji reste invisible ".
Dire aussi la magie des couleurs, bleue, rose, turquoise, lavande, vert émeraude, gris perle, blanc, violette, mauve, nacrée. Interrompant mon travail je reste de longs moments, immobile, contemplatif. Fasciné, ébloui par une lumière, une couleur jamais vues.
Dire les deux instants sublimes de la journée. " Midi, roi des étés "... au zénith, le soleil tombe verticalement sur l’eau. Argent fondu, scintillant comme la mer. La lumière pétille. Et le soir, en aval, où se jouent tous les drames. Là, tout est possible.
L’eau coule, le sable coule, les jours s’écoulent, le temps coule... combien de sable reste-t-il dans le sablier ? Pourtant chaque matin, là devant ma fenêtre : le premier matin du monde.
Christian Broutin
juillet 2022
Les mairies de La Roche-Guyon, Moisson, Bonnières-sur-Seine et Bennecourt se sont alliées en 2022 pour célébrer la Seine, leur patrimoine vivant commun : elles offrent des rencontres, animations, conférences sur les 4 sites pour favoriser l’accès de tous à la biodiversité, à l’histoire, la culture, l’art et la littérature spécifiques à ce territoire et créer du lien dans la vallée.
